Le vendredi 20 décembre dernier, l’année 2019 tendait doucement vers sa fin. Dans les établissements scolaires, élèves, collégiens, lycéens se préparaient à aller en congé de fin d’année, dans la fièvre des manifestations culturelles. Au Complexe scolaire Les Savoirs, situé dans le quartier Attiegou à Lomé, un évènement était annoncé pour cette dernière journée d’activités culturelles sur l’esplanade du complexe : une démonstration de la Capoeira Régionale.
Pour le grand public composé d’élèves, d’enseignants, de parents d’élèves et de curieux, attroupé devant le complexe, devant eux était installée une aire de jeu de combat (tatami) à damier rouge et bleu comme l’aire de combat de Karaté, de Taekwondo, bref des arts martiaux. De quoi s’agissait-il réellement ? D’une compétition de combats ? Difficile d’avoir la réponse. De loin, on pouvait lire sur une grande bâche dressée derrière la scène, ASTOCAP : Association Togolaise de la Capoeira. Il sonnait 16 heures lorsqu’un groupe d’enfants, de jeunes, et d’âgés dont une femme, habillé de pantalon et T-shirt blanc avec des ceintures de différentes couleurs attachées au pantalon tenant en mains : tam-tam, castagnette et une sorte de guitare en bambou, donna le ton de la partie par une chanson et fit son apparition sur la scène sous l’ovation, le sifflet et l’applaudissement du public.
Juste un avant-goût d’un évènement d’une heure qui a marqué plus d’un. « Je n’ai jamais vu ce sport. J’ai aimé parce qu’on dirait qu’ils se battent mais en réalité c’est du sport associé à la musique. Ça m’a plu et je vais demander aux parents de m’inscrire à ce sport », a confié un élève de la classe de 6e du Complexe scolaire Les Savoirs. Evidemment cet enfant n’a pas tort, la Capoeira est méconnue du public togolais et plus précisément le style régional. Et pour donner d’amples explications sur cet art martial, le Mestre béninois, Mamoudou Fassissi, le seul pratiquant du continent africain à atteindre le grade de Maître en Capoeira a fait le déplacement avec quelques capoeiristes de son association pour soutenir l’initiative de son frère et ami togolais Christian Ayité Hillah. « Il y a plusieurs types de Capoeira. La Capoeira Angola est le style primitif, traditionnel où le Maître Pastunia a voulu conserver. Les Africains au Brésil avaient reçu l’interdiction de la pratique des arts martiaux et des self-defenses, car au Brésil durant certaines années, on a criminalisé les Capoeiristes et ils ont dû camoufler leur self-defense dans la danse ce qui a donné naissance à la Capoeira. Il y a la Capoeira contemporaine et d’autres styles qui sont créés », a-t-il expliqué. Il a poursuivi ses explications sur l’origine de la Capoeira Régionale, « Maitre Bimba a créé la Capoeira style régional pour sortir cet art de la marginalisation. Lutteur et champion, Maitre Bimba qui voyait que la Capoeira traditionnelle perdait son sens de lutte a révolutionné la Capoeira par le style régional qui permet au Capoeiriste de se battre sur le ring avec celui qui fait le Taekwondo, le Karaté et toutes les autres disciplines ».
En réalité, chaque instrument à la Capoeira a un nom spécifique et le responsable de l’ASTOCAP, Christian Ayité Hillah donne des précisions : « comme à la Capoeira Angola, les instruments de musique sont les mêmes : nous avons le Berimbou, le Cachichi, le Pandeiro qui sont utilisés pour la Roda où l’aspect martial des combats, l’aspect artistique avec les acrobaties, les chants et les instruments propres à la Capoeira sont étalés ».
La Capoeira Régionale au Togo : un avenir qui promet
A l’instar du Bénin considéré comme pays pionnier de la Capoeira en Afrique où la mise en place d’une fédération nationale est en gestation, d’autres nations comme le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Sénégal disposent pour l’heure d’association nationale. Au Togo, l’Association Togolaise de la Capoeira (ASTOCAP) a pris le flambeau pour promouvoir la discipline et c’est dans la droite ligne de cet objectif que la démonstration du 20 décembre dernier s’est déroulée à Lomé. Christian Ayité Hillah, avec plus de 20 ans de pratique de Taekwondo (ceinture noire 5e dan), plus de 14 ans de pratique d’Aïkido et 2 ans de pratique de Capoeira est un amoureux d’arts martiaux qui a foi que la Capoeira régionale connaitra son essor sous peu sur la terre de nos aïeux avec sa démarche. « Pour faire connaitre une discipline qui est méconnue du public, nous avons des moyens de communication comme la presse, les réseaux sociaux. Ensuite nous devons aller sur le terrain à différentes manifestations pour démontrer ce que sait que la Capoeira, expliquer ce que la Capoeira peut apporter de bien aux pratiquants, ce qu’ils peuvent gagner pour avoir plus d’adhésions. Enfin, la formation pour arriver progressivement », a-t-il dévoilé. L’objectif à moyen terme, « c’est d’arriver à avoir d’ici deux ans une fédération nationale de Capoeira. Il nous faudra avoir trois associations et nous allons travailler en ce sens », a précisé, Christian Ayité Hillah qui est optimiste quant à l’adhésion massive des pratiquants d’arts martiaux togolais à la Capoeira Régionale qui « est une discipline qui a le côté tourné vers le martial. Tous ceux qui pratiquent déjà un art martial se retrouvent dedans. Que vous pratiquez le Taekwondo, le Karaté, vous vous retrouvez dans la Capoeira régionale et ça facilite l’intégration. L’organisation de compétitions, le passage d’examen de grade, la délivrance de diplôme pour calquer la discipline sur le système académique intéressent les pratiquants pour connaitre leur évolution ».
La Capoeira : une rivalité de style mais source d’espoir
De tout temps, des rivalités naissent entre les disciplines d’arts martiaux. La Capoeira ne fait pas exception à la règle. Les capoeiristes de style Angola accusent ceux de la Régionale de déformer l’art et c’est du « je ne t’aime pas moi non plus ». Mestre Mamoudou Fassissi relativise que « la Capoeira est une langue universelle, elle est comme une mer. C’est à travers le style régional et contemporain de Me Bimba que la Capoeira est devenue pédagogique. Il a créé les alphabets de la Capoeira et renforcer les moyens d’apprentissage et de formation. Avec ce style de Capoeira on peut évaluer le pratiquant et passer de grade chaque année conformément au volume horaire d’apprentissage et à la maitrise de la discipline ». Comparativement à la Capoeira Angola qui est restée à la phase traditionnelle, celle Régionale est évolutive et les Capoeiristes de ce style participent à des compétitions internationales comme le championnat du monde où le Béninois a représenté l’Afrique à deux reprises. Quoique la rivalité existe, le responsable de l’ASTOCAP, Christian Ayité Hillah prend de la hauteur. « Notre association veut regrouper toutes les pratiques de Capoeira. Même si nous mettons en avant le style régional qui est beaucoup plus adapté au monde moderne, nous ne pouvons pas oublier les origines de cette Capoeira. Nous sommes ouverts à tous les styles de Capoeira qui existent », a-t-il confié.
En 2020, la Coupe du monde de Capoeira se tiendra en Russie et Mestre Mamoudou Fassissi croit à un développement de l’art martial pour plus de participation africaine à ces joutes. « L’Afrique doit se sentir interpellée par la Capoeira. Le travail doit être accentué pour avoir des fédérations nationales prospères. On a besoin d’un moyen de communication sans barrière. A travers la Capoeira Régionale et les examens de passage de grade, un jeune démuni peut devenir un enseignant de Capoeira et voyager à travers le monde pour représenter son pays », a-t-il relevé. Pour le travail abattu, Mestre Mamoudou Fassissi est le premier africain à être Maitre en Capoeira, à être décoré chevalier d’ordre national du Brésil, un modèle qui veut être un espoir pour l’Afrique. Il lance un appel à la jeunesse de s’approprier de cet art martial pour en faire un sport national.
La Capoeira, art martial afro-brésilien aurait ses racines dans les techniques de combat des peuples africains du temps de l’esclavage au Brésil. Elle se distingue des autres arts martiaux par son côté ludique et souvent acrobatique. Les pieds sont très largement mis à contribution durant le combat bien que d’autres parties du corps puissent être employées telles que, principalement, les mains, la tête, et les pieds. Plusieurs techniques usuelles de combat de différents arts martiaux sont utilisées dans la Capoeira.