Dans une interview accordée à notre rédaction, Paulo Duarte a balayé toute l’actualité autour de la sélection. La prestation du Togo face au Burkina Faso, les chances de qualification des Eperviers, son avenir, les binationaux courtisés… le sélectionneur a tout dit dans cet entretien exclusif.
Lisez plutôt !
L’equipe228 : Comment allez-vous après les deux matchs face au Burkina Faso ?
Paulo Duarte : Je suis déçu. On avait la chance de montrer au public togolais la capacité, la force et la puissance de notre équipe face à un grand adversaire, le Burkina Faso. On a douté de nous avant ces rencontres mais on était confiant. On sait pourquoi on est dans cette situation. On a montré qu’on peut jouer tête à tête avec de grandes équipes d’Afrique. Des choses dont nous ne sommes pas capables il y a de cela 15 mois. Face au Burkina Faso, on méritait de prendre 4 points minimum. Sinon 6 points, surtout à Marrakech. On regrette les occasions ratées mais la qualité était présente, les joueurs se sont bien comportés. Nous avons bien joué, nous n’avons pris qu’un point et le Burkina Faso qui a souffert en a pris 4. On sort triste, frustré parce qu’on a beaucoup travaillé avant ces deux matchs. Le public qui a également envie de voir son équipe gagner à domicile. Malheureusement on n’a pas gagné cette bataille sur les buts marqués mais plutôt sur la qualité de jeu.
En toute honnêteté, Le Togo peut-il se qualifier pour la CAN 2023 ?
Oui bien sûr ! C’est aussi aujourd’hui de dire qu’on dépend des autres. On dépend du résultat entre le Burkina Faso et le Cap-Vert. Si on veut se qualifier pour cette Coupe d’Afrique, on doit gagner deux matchs. C’est impératif. On doit gagner ces deux matchs pour prendre six points. On sera sur le terrain pour gagner indépendamment de ce qui va se passer dans le jeu. C’est cette image qu’on veut qu’on retienne de nous, une équipe qui joue pour avoir la victoire. On va jouer avec toute la positivité, l’urgence de gagner. Mais, la CAN est encore ouverte et c’est le message qu’on doit passer aux joueurs. Tout est possible. Quand on joue bien, on ne gagne bien. Peut-être qu’on va mal jouer et gagner. Ce que je demande, c’est battre l’Eswatini et arrivé au stade de Kégué au dernier match avec la chance de se qualifier. On veut rentrer à Kégué avec la porte ouverte pour la Côte d’Ivoire. Mais, il fait qu’on batte l’Eswatini et que le Cap-Vert ne gagne pas face au Burkina Faso.
Le match face à l’Eswatini est très important dans l’optique de la qualification. Quel travail faites-vous actuellement ?
Je dois travailler l’aspect psychologique de mes joueurs. Notre équipe n’est pas encore parfaite. On cherche l’équipe-type, on l’a renouvelé à peine deux ans depuis mon arrivée. Dans mon opinion, on a déjà une équipe, pas une équipe parfaite, pas équilibrée à 100% mais on a une équipe qui a envie de gagner. On doit travailler l’aspect psychologique. L’équipe est bien organisée. On défend bien, on attaque bien également. On se crée beaucoup d’opportunités mais malheureusement on rate beaucoup de buts. On doit travailler cet aspect aussi. Il faut faire croire aux joueurs que cette période va passer. Parfois je sens que je lutte contre la magie de plusieurs choses. Je dois lutter contre l’adversaire et non la magie. Mais elle existe peut-être et attaque mes joueurs. On travaille beaucoup la finition deux, trois fois sur 5 ou 6 entrainements pendant les stages donc on doit accentuer le travail sur la finition. Le problème est plus l’aspect mental je pense. Les joueurs sont tristes après les défaites parce qu’on travaille pour la victoire. Aujourd’hui, l’aspect psychologique est important pour moi que la partie technique. On a beaucoup de défenseurs, de milieux de terrain axiaux et d’attaquants et on est un peu déséqulilibré sur les côtés. J’attends que mes joueurs se comportent positivement dans la zone de finition.
Depuis un certain temps, le Togo évolue désormais dans un 3-5-2. Un système qui a permis aux Eperviers de dominer le Burkina Faso dans le jeu. Est-ce le système tactique définitif de Paulo Duarte avec l’équipe nationale ?
Non. C’est un système d’un coach qui connait la réalité d’aujourd’hui. J’ai toujours fait jouer mes équipes dans un 4-3-3. Après avoir analysé les difficultés et les points faibles de notre équipe, je me suis adapté. Il me manque des latéraux. On a trop de joueurs axiaux, on a trop de joueurs au milieu de terrain. Donc je me suis adapté. Au milieu de terrain, on a Akaté, Romao, Asamoah, Marouf, Karim Dermane, Samsondin, Frank, Roger Aholou. On a trop de joueurs pour le même poste. Après, on n’a pas un grand numéro 10, un grand latéral droit, un grand arrière gauche. On vient de trouver le joueur d’Asko Roland Amouzou qui commence à me donner des satisfactions. Placca Fessou est un joueur axial que j’ai repositionné sur un côté, Bebou qui est un joueur de ligne, parfois attaquant de pointe qui en club joue comme latéral droit dans un 3-5-2. J’ai regardé les caractéristiques de mes joueurs et je me suis adapté. Ce n’est pas un système qu’on va jouer éternellement. Pour le moment, c’est notre système. Mais dans l’avenir, si on récupère d’autres joueurs comme Bradley Barcola, comme Faride Alidou joueur de ligne de grande qualité, je peux utiliser plus Bebou sur la ligne, je peux retourner à mon 4-3-3 et jouer en fonction de l’agressivité tactique et de la puissance de technique de l’adversaire. Il faut toujours que j’ai un plan B. Un coach qui n’a pas un plan B est toujours prévisible.
Kévin Denkey est actuellement l’attaquant togolais le plus en forme. Sur les deux matchs contre le Burkina Faso, il a joué très peu. Est ce qu’il y a un problème avec le joueur ?
Il n’y a aucun problème avec Denkey. Sur les 8 ou 9 matchs que j’ai dirigés depuis mon arrivée, il a fait trois matchs officiels, un ou deux matchs amicaux. On a quatre attaquants de grandes qualités. On a Laba, Placca, Denkey, Thibault Klidjè un petit que j’adore. Klidjè est un joueur très explosif et rapide qui attaque la profondeur. Chaque attaquant avec sa caractéristique. Pour moi, l’attaquant qui me donne le plus de confiance sur la capacité de finisseur, dans l’intelligence du jeu, dans les déplacements, c’est Laba. C’est un cas unique. Il marque beaucoup en club, et marque peu en sélection. Sa qualité est là. Kévin, c’est sa première saison qu’il marque autant de buts. Je suis content pour lui. Le Togo a besoin de ça. Normalement, c’est un joueur qu marque 3 ou 4 buts par saison. C’est un joueur plus d’appui, qui garde la balle, bon dans la conservation et la force. Il n’est pas un joueur de profondeur, de vitesse, et pas trop fort dans son placement sur le terrain. Laba et Placca ont plus ces qualités. L’unique problème qu’il y a, c’est la concurrence. La concurrence est rude. Denkey a joué au Maroc mais pas à Kégué. A domicile, je voulais surprendre le Burkina Faso. On a joué avec deux attaquants d’appui Laba et Denkey à l’aller. Ce sont de joueurs pareils mais Laba a plus cette capacité d’attaquer dans le dos de l’adversaire et changer de ligne. Denkey, c’est plus au balle au pied. J’ai changé avec un joueur plus rapide qui est Thibault qui joue en profondeur, en sprint, dans l’explosivité. J’ai changé la profondeur pour le mouvement d’appui. Malheureusement, le Burkina Faso a joué à trois derrière. Ce qui nous a mis en difficulté avec l’association Laba et Thibault. Je suis sûr que si le Burkina a joué dans le même système au retour, Thibault va causer beaucoup de problèmes aux défenseurs adverses. C’est une question de choix. Il n’y a de places réservées pour quelqu’un. C’est vrai, Laba joue plus que les autres parce que c’est un joueur qui me plaît beaucoup. C’est aussi un joueur qui rate beaucoup de buts. La dernière fois, j’ai parlé avec lui et je lui ai dit qu’il va falloir qu’il change. Il faut qu’il se concentre plus dans le timing au moment de frapper aux buts. C’est le joueur qui se crée beaucoup d’opportunités. C’est aussi lui qui rate plus. Peut-être, c’est psychologique parce qu’on ne gagne plus à Kégué. Une équipe ne peut pas toujours attendre un joueur et aussi un joueur ne peut toujours pas attendre une équipe.
Vous avez pris un risque qui s’est avéré payant. Il s’agit de Karim Dermane qui a séduit le plus sportif togolais face au Burkina Faso par sa capacité à garder le ballon, et aller vers l’avant. Pour vous, dans quel secteur le joueur peut-il encore progresser ?
J’ai pris un risque en signant au Togo. Mais, c’est un challenge et je veux travailler pour que cette équipe revienne au-devant de la scène. Le Togo a perdu une génération merveilleuse qui a beaucoup donné à l’équipe nationale. Je savais que je dois commencer pratiquement de zéro. Quand je parle de zéro, c’est que l’équipe n’a pas la même confiance, la même qualité. C’est une équipe qui est déséquilibrée qui n’a pas de latéral gauche, de latéral droit, un ailier gauche de qualité, et qu’il n’y a plus cette harmonie entre les joueurs et le public. Je suis venu au Togo pour souffrir, pour renouveler l’équipe à partir de zéro. Ce projet, c’est sur deux, trois ans. Aujourd’hui, on doit reconstruire, on doit récupérer le temps qu’on a perdu. Karim Dermane fait partie du projet de reconstruction. Karim a 19 ans, Loic Bessilé 24 ans, Wassiou 26 ans, Thibault 21 ans, Denkey 22 ans, Samsondin qui est sur le banc 23 ans, on a encore Nador qui est sur le banc 20 ans. Pour renouveler, il faut chercher de nouveaux joueurs, des joueurs de qualités et donner le temps à ces joueurs de grandir. J’ai été critiqué quand j’ai utilisé Karim parce qu’ils disent que le joueur n’était pas prêt pour ce niveau, pour la pression du match. 4 mois après, on dit que Karim est la star de l’équipe. Tout le monde ne parle que de lui. On confirme qu’il est le meilleur togolais face au Burkina Faso. Karim a besoin de grandir. Il est là pour réfléter l’image que je veux de cette équipe. Il est jeune et a plus de courages que beaucoup de joueurs de football. Il garde la balle, il assume le risque, il joue vers l’avant. Il n’a pas peur d’avoir la balle, de rater une passe. Alors qu’on parle d’un joueur de 20 ans. C’est ce courage je veux à part sa qualité technique, d’agressivité, de pressing. Il bloque les joueurs avec le pressing immédiat devant. Il prend énormément de risque, la capacité de se dire : « Je suis là et je veux prendre les choses en mains. Je vais faire jouer l’équipe comme j’ai 27 ou 28 ans ». Il y a Karim, mais il y a aussi Loic Bessilé. Je l’ai beaucoup plus décrié peut-être. Je l’ai moins valorisé. Aujourd’hui, Loic me donne une réponse, il m’a séduit. Confiance, agressivité, c’est le joueur qui a le plus de confiance. Sa progression sur les 12 derniers mois est énorme. Il est encore jeune. Je suis encore de découvrir des joueurs. Karim est un joueur que je peux utiliser partout comme un 8, un 6 et comme un 10. Maintenant, il doit progresser dans sa capacité à ne pas trop courir, améliorer le timing d’avancer et de donner les dernières passes. Dans le pressing, il est bon, dans la capacité de garder la balle, il est bon, dans la résistance pendant 90 minutes, il est bon. Je veux qu’il travaille sa dernière passe pour les attaquants quand je décide de l’utiliser comme un meneur.
Vous avez pris un risque qui s’est avéré payant. Il s’agit de Karim Dermane qui a séduit le plus sportif togolais face au Burkina Faso par sa capacité à garder le ballon, et aller vers l’avant. Pour vous, dans quel secteur le joueur peut-il encore progresser ?
Ce sont des ambitions de Serge Akakpo, de la Fédération et de moi. Ce n’est pas facile. On a convaincu de nombreux joueurs. On a réussi à avoir 30 joueurs sur 40. C’est déjà beaucoup. Il y a toujours cette difficulté de convaincre le papa ou la maman des joueurs de venir jouer pour le Togo. Parfois, le joueur a envie de jouer pour le Togo, pour la France ou l’Allemagne. Il y a beaucoup de joueurs qui m’ont dit non. Certains ont dit oui. On a besoin exactement de ces joueurs parce qu’on est en manque à ces postes. On parle de Barcola, un jeune de 19 ans, ailier gauche, numéro 10, un joueur de top niveau qui va faire une carrière extraordinaire comme Bertrand Traoré. On a aussi Faride Alidou, un ailier droit de grande qualité qui a encore 19 ans qui a dit NON mais peut-être dans l’avenir va changer d’avis. On a un axial de grande qualité Lilian Brassier qui a toujours di OUI comme Barcola mais ce n’est pas le moment. Lilian m’a fait croire qu’il sera là en juin. J’attends toujours. Je ne vais pas obliger un joueur à venir. Lilian m’a promis qu’il va venir. C’est ce message que je dois passer au public. La question qu’on se pose : « Quand est-ce qu’ils viendront ? ». Je n’insiste pas au point de perdre ma dignité quand un joueur refuse de venir. Il y a un autre joueur que je garde pour moi. Un axial très fort et un attaquant aussi très fort. On a besoin d’un joueur de ligne et un axial de haut niveau. Marvin Senaya est un arrière droit qui progesse beaucoup. il a progressé à Rodez et très offensif dans un 3-5-2. Il va venir je suis sûr. Je pense qu’il va réfléchir encore un peu. Khaled Narey ne va pas venir. Il a toujours dit Non. Maintenant, il est à PAOK, il marque beaucoup de buts. On doit l’écarter parce qu’il ne m’a jamais donné de réponse positive.
Qui est le gardien numéro un des Eperviers ? Et pourquoi avez-vous titularisé Wassiou alors qu’il ne joue pas assez avec l’ASCK avant la double confrontation face au Burkina Faso ?
Aujourd’hui, notre meilleur gardien, c’est Ouro-Gneni Wassiou. C’est simple comme ça. Aujourd’hui, Barcola Malcolm n’est pas en grande forme. Barcola traverse une période difficile et de frustration. Il a changé de club. Il est passé de l’équipe réserve de Lyon pour une équipe de première division en Bosnie afin d’avoir la possibilté de jouer au haut niveau. La réalité est qu’il est dans un championnat qui n’a pas un grand niveau. Mais s’il joue ce sera une bonne chose. Mais, il ne joue pas beaucoup. Il a grossi, il a perdu la confiance. Quand il joue en club, je sens qu’il est en manque de confiance. Je peux faire la liste sans lui si on a meilleur. Mais, c’est comme le tuer encore plus. Dans ces moments difficiles, il a besoin de confiance et de soutien. Aujourd’hui, il y a deux gardiens qui sont meilleurs que lui dans l’aspect technique et de confiance. C’est Steven Mensah (ndlr, 20 ans qui évolue avec la réserve de Hambourg en 4è division allemande) qui progresse énormémement et Wassiou, un bon gardien. De loin, il est pour moi le meilleur gardien togolais. C’est un gardien de qualité mais qui commet des erreurs. Des erreurs qui nous coûtent chères.
En septembre, s’il arrivait que le Togo ne se qualifie pas pour la Coupe d’Afrique des Nations. Quel sera l’avenir de Paulo Duarte ?
Mon avenir, c’est Dieu. J’ai choisi de souffrir. C’est plus facile de rester au Primeiro de Agosto en Angola que de venir au Togo qui n’est pas dans une bonne période. Avec le Covid, on a fait un contrat de 20 mois. Je suis là pour faire mon travail. Aujourd’hui, je construis la maison et je souffre. Je mange le caillou pour après dans l’avenir ou avec un autre sélectionneur qui viendra manger du caviar. Le plus important est que quand je quitte le Togo, je veux qu’à l’unanimité les gens disent que c’est une équipe construite par Duarte. On gagne par rapport à tout ce qu’il a mis en place. Ce n’est pas grave si je souffre. Le Togo va gagner c’est sûr. Je sens que j’ai déjà une équipe. Personne ne doute de notre qualité de jeu. On est une équipe solide et consistante qui se comporte bien avec ou sans le ballon, qui impressionne, qui bascule bien, qui construit bien la transition offensive à partir du gardien, qui est plus agressive pas comme je veux mais plus qu’avant. Une équipe qui est capable de marquer face au Sénégal, de marquer contre le Burkina mais qui doit faire plus. C’est notre point négatif. On crée des occasions mais on ne marque pas. On défend bien et sur des erreurs on encaisse. On sens que tout le monde constate que l’équipe progresse. On parle de beaucoup choses. Là je vais demander à la Fédération de nous trouver un magicien alors qu’on doit avoir de bons attaquants. Je suis disponible. Ce qui compte, c’est le Togo. Ce n’est pas l’avenir de Duarte ou de mon staff. Le Togo, c’est un pays qui m’a bien accueilli, qui me fait plaisir. Je me sens bien. Je sais que mon travail va porter ses fruits à l’avenir. C’est clair. Mais, ce que je veux c’est que ça donne des résultats maintenant. Reconstruire une équipe et avoir immédiatement des résultats c’est difficile. Je dois le dire, on doit être clairement 1er ou 2è de notre groupe. On est dernier. Dans la reconstruction, on a ce potentiel. On est dernier par notre propre faute. Ce n’est pas la faute de l’arbitre ou que l’adversaire est plus fort que nous. On souffre parce que le destin nous oblige de souffrir. Parce qu’on a la qualité pour être premier devant une équipe qui est la troisième meilleure sélection en Afrique selon moi, le Burkina Faso.
Interview réalisée par John ATTISSO