La presse sportive a trouvé, pour les désigner, une périphrase noble et valorisante : le douzième homme. La formule insinue que les joueurs, disposés sur le terrain pour disputer le match, ne sont pas seulement 11, il y a un douzième qui leur vient en appui. Ce soutien est ainsi censé inverser le rapport des forces en faveur desdits joueurs. C’est l’idéal et la théorie. Dans les habitudes au Togo, il n’est pas sûr que le douzième homme joue véritablement son rôle. Il y a des raisons de douter, de s’inquiéter parfois, de la contribution des supporters à l’épanouissement des clubs dans les deux divisions de l’élite. Pour plusieurs raisons, c’est peu de dire que le douzième homme demeure le maillon faible de la chaîne du foot national. Malheureusement.
Qui peut oser oublier les années 2004-2005 où le stade de Kegue se remplissait déjà à 10 heures pour un match des Eperviers prévu à 16 heures ? En ces années, la marée jaune avait un impact évident sur les performances de la sélection, tout au moins, sur la psychologie des adversaires. Qui peut oser également oublier la cohue remarquable au stade municipal de Lomé les mercredis et dimanches après-midi où la fédération de football programmait deux matches dont un derby en seconde heure ? Le stade municipal faisait toujours le plein et la masse de supporters faisait trembler l’enceinte. Aujourd’hui, le moins qu’on doive dire est que ces années sont bien loin derrière, ces moments d’effusion et de fusion dans les tribunes aussi.
Changement de paradigmes
Le spectacle est tout simplement affligeant et désolant : les jours de matches de D1 et D2, on constate que les tribunes sont vides. Surtout dans les grandes enceintes comme le stade municipal de Lomé, il faut être un initié pour savoir que c’est un match de la division d’élite qui se déroule devant un tel public, 100 ou 200 individus. A l’analyse, on peut dire que le statut de supporter a changé, les motivations de même que les objectifs depuis quelques années.
« Pour moi, tout a basculé dans le mauvais sens avec les présidents de clubs et surtout de fédération qui ont pris plaisir à exhiber leurs richesses. Ceux-là ont distribué de l’argent à tour de bras de sorte que les supporters se sont laissés prendre au piège de la facilité et de la passivité. Le président ayant de l’argent pour subvenir à tous les besoins, à quoi bon dépenser son argent pour soutenir le club ? », explique une source. Elle ajoute : « Du coup, non seulement le statut de supporter a changé de paradigme et d’orientation mais encore et surtout les présidents nantis capables de dépenser sans compter ont attiré dans le football beaucoup de gens opportunistes qui se sont transformés en supporters. Dans les faits, c’est l’argent des présidents qui les a attiés. On constatera donc que, dès que les séances de distribution de CFA se sont raréfiés puis ont disparu, ces nouveaux supporters ont perdu leur enthousiasme, leur motivation, au grand dam du football. »
Cette analyse est pertinente à plusieurs égards. Elle esquisse une explication de ce qu’on constate sur les terrains de football aujourd’hui lorsque les clubs de D1 ou D2 s’affrontent. Comme Diogène, il faut allumer une lampe pour chercher et trouver les supporters. Certains clubs sont heureux : Sémassi et, à peu de choses près, Unisport. Le stade de Sokodé est souvent noir de monde quand ces clubs jouent leurs matches. C’est peut-être l’exception qui confirme la règle mais la source recommande de nuancer : « Sont-ils des supporters ou des amoureux du football ? Ou tout simplement des amoureux des victoires ? ».
Supporters et amoureux du foot
Les dernières questions de notre source ont le mérite de faire une dichotomie au sein de tout ce monde qui se réclame « supporter » d’un club. En vérité, en analysant de près le fonctionnement de ce monde informe et hétéroclite dit des supporters, on constate qu’il y existe différentes catégories. Il y a les amoureux du foot : ceux-là aiment regarder le foot et n’hésitent pas à se déplacer partout où besoin est pour assouvir cette passion. Ils sortent pour regarder des matches et, du fait de leur appartenance communautaire ou professionnelle, ils se sentent proches de tel ou tel club. « Dans les clubs, on les connaît à peine, on constate qu’ils viennent au terrain mais ils ne sont dans aucun registre de club.
Il y a également les parents et les proches des comités exécutifs ainsi que des joueurs des clubs. « Ceux-là ont une attitude paternaliste. Vu leur proximité avec des acteurs clés du club, ils se donnent des marges de manœuvre qu’ils ne méritent pas. Ils sont prêts à engager des joutes oratoires, des querelles voire des bagarres au nom du club. Peut-être pour montrer au président ou à X combien il est engagé et motivé au service du club », indique une autre source. Un autre groupe est celui qu’il faut désigner « groupe officiel ». Ceux-là vient le quotidien du club, ils en connaissent les difficultés, en partagent de près les moments de joie et de peine, de doute et d’espoir. « Ils sont une cinquantaine à Unisport. Les jours de matches, certains sont en gilet rouge : leur rôle est d’appuyer les forces de l’ordre afin de garantir la sérénité avant, pendant et après le match. Un second groupe est dans les tribunes. Habillés aux couleurs du club, bleu et blanc comme les couleurs de Marseille, ils jouent et dansent pour soutenir et encourager les joueurs », a confié Tchassama E. Bivaye, trésorier général du club Unisport de Sokodé. La même organisation est observable chez plusieurs autres clubs : Etoile Filante, AC Barracuda, Asko, ASFOSA, etc., même si à notre grand étonnement, nos investigations ont permis d’établir qu’il y a des clubs qui ne possèdent pas de groupes de supporters organisés. Ce soutien moral flagrant n’exclut pas de poser la grande question : combien d’argent ces supporters mettent-ils dans les caisses du club ?
MaIllon faible
Bien que les supporters aient une responsabilité notable dans le développement d’un club et du football dans un pays, les supporters au Togo sont toujours absents. Leur implication dans le développement du football des clubs diminue année après année. Alibi tout trouvé : les championnats ne sont pas compétitifs, il n’y a plus de spectacle sur les terrains de D1 et D2, il y a constamment des déceptions et des frustrations liées à l’arbitrage. Tout cela n’est pas faux et tout le monde convient qu’il y a du travail à faire pour remettre en selle le football domestique et lui permettre de re-devenir redoutable comme dans les années 1960-1980. Cependant, cet argument ne saurait justifier l’absence des supporters dans les finances des clubs. Selon Tchassama Bivaye, les supporters d’Unisport contribuent parfois à hauteur de 40% aux dépenses du club, la différence de 60% étant couverte par le bureau exécutif, par le président, pour être réaliste. De plus, pour des matches à Kara ou ailleurs dans la région septentrionale où le groupe des supporters décide de suivre les joueurs, M. Tchassama renseigne que les supporters mobilisent eux-mêmes les moyens financiers, précisant au passage que le président du club donne aussi des coups de main, dépendamment de la conjoncture. Du coup, il apparaît évident que la contribution aux finances des clubs n’est pas énorme, pour ne pas dire qu’elle est insignifiante ou inexistante. Les investigations renseignent d’ailleurs que, dans certains clubs bien nantis, les supporters sont plutôt une charge pour le club, la société ou le président étant obligés de donner les moyens pour leurs déplacements et autres besoins.
Pourtant, il est indubitable qu’une véritable implication des supporters et sympathisants dans la vie financière des clubs à travers des abonnements d’entrée au terrain, l’achat de gadgets et d’étrennes aux couleurs du club et une contribution financière régulière aura le mérite de transformer du simple au double le présent et l’avenir de certains clubs. Selon nos informations, quelque chose est en branle actuellement à Sémassi. Kozi Amadou Morou, secrétaire général du club, a décrit un ensemble de mutations attendues pour transformer les rapports entre les supporters et le club. « Actuellement, nous expérimentons une formule d’abonnement pour l’entrée au stade. Vu que nous avons à disputer 7 matches à domicile, nous avons proposé un forfait de 5000 F CFA pour avoir accès à ces matches. L’engouement est manifeste », a-t-il expliqué. Ce n’est pas tout. « En dehors de cette formule, il y a des moments où vu les besoins, nous lançons des appels de fonds sur les plateformes de supporters. Alors, tous ceux qui se sentent concernés par Semassi, au-delà de la cinquantaine du groupe organisé reconnu officiellement, met la main à la poche pour aider financièrement le club », a ajouté M. Kozi Amadou.
Pour une de nos sources, « Semassi mérite mieux que cela ». Il précise sa pensée : « On ne peut pas comprendre qu’un club comme Sémassi qui réussit à faire stade comble pour ses matches à Sokodé ait des problèmes financiers. Il suffit que chacun de tous ces individus s’engage à sortir de l’informel et à cotiser, au sein d’un grand mouvement ou de petits regroupements, 1000 FCFA par mois. Sémassi deviendrait le PSG du Togo », fait observer une source, spécialiste du marketing des sports. Il ajoute, non sans dépit : « C’est un véritable gâchis de ce côte-là et il est urgent que les dirigeants de ce club, sans oublier ceux de Gomido, Foadan, Gbikinti ou Asfosa, travaillent à mobiliser de tels fonds ». Conclusion : «Ils ont tout à y gagner. »
Une autre raison pour laquelle les supporters représentent le maillon faible de la chaîne nationale du football, c’est leur implication dans les violences sur les stades et sur les terrains. Ce phénomène est davantage imputable au groupe des « loups solitaires », ceux-là qui gravitent autour des présidents et des membres des bureaux ainsi qu’autour des joueurs se montrent parfois particulièrement violents. Injures, propos désobligeants, querelles, bagarres, voilà leur tableau de chasse. Arbitres, joueurs et même des bureaux Exécutifs sont généralement leurs cibles. »Ce sont des opportunistes et la formule de « loups solitaires » leur convient assez bien. Ils viennent au terrain pour se défouler, les plus indélicats sont sous l’effet de produits excitants ou euphorisants. Ils sont en réalité des ennemis du football », a souligné la première source.
Il y a encore beaucoup de choses à évoquer dans le registre des rapports entre les clubs et les supporters dans les divisions d’élite au Togo. Le vrai enjeu reste l’argent et il est important de trouver les formules pour transformer le statut et les comportements des supporters de football au Togo. L’expérience des abonnements d’entrée en cours à Sémassi est à soutenir et il faut que cela serve d’exemple ailleurs. C’est une base à partir de laquelle va s’opérer la transformation nécessaire. C’est à suivre.
Kodjo AVULETEY