La date annoncée pour le premier kick-off de la saison sportive à la Fédération Togolaise de Football arrive à grands pas. Les préparatifs se poursuivent, à différentes échelles. Entre les dispositifs que la fédération met en place, les innovations dont on se gargarise déjà, les déclarations d’intention dont on ne fait point économie de propagande et les proclamations confiantes, il va de soi que cette saison ne sera à nulle autre pareille. Il n’est pas difficile d’en trouver la raison. C’est l’environnement dans lequel va s’ouvrir et se dérouler la saison. Du fait de la pandémie du coronavirus, du fait de la rigueur et de la circonspection que l’Etat met dans les restrictions édictées en vue de la riposte contre le mal, la partie s’annonce très peu facile et, à y voir de très près, les acteurs, tous tant qu’ils sont, seront leurs propres fossoyeurs : la moindre déconcentration, le plus petit instant de relâchement pourrait produire l’effet d’un éléphant dans un magasin de porcelaine.
Presque douze mois jour pour jour après l’arrêt forcé du précédent championnat de première division, après des mois de sevrage, après des mois de nuit blanche à espérer un retour rapide à la compétition, après que les footeux du Togo ont montré de l’incompréhension de constater que, autour d’eux, les lignes avaient bougé et que, sans s’émouvoir outre mesure du péril covidien, des pays ont admis l’intérêt du retour sur les terrains, une nouvelle saison des championnats est à portée de main. Le 20 mars prochain, le kick-off sera donné quelque part à Lomé, à Kara, à Sokodé ou à Atakpamé. C’est maintenant sûr, étant entendu que l’autorité politique en a donné le feu vert. « Je voudrais porter à votre connaissance qu’une autorisation est accordée à votre fédération aux fins de mener lesdits championnats à terme pour les titres nationaux respectifs » lit-on dans un courrier du ministère des Sports et des Loisirs à la Fédération togolaise de football en date du 24 février dernier.
Particularités
La saison 2020-2021 sera tout à fait particulière, à différents égards. C’est peu de dire qu’elle sera plus éprouvante pour les services de la fédération qui sont impliqués dans sa préparation et dans son déroulement. Le format des deux championnats est déjà connu, les terrains qui serviront de théâtre d’opération le sont aussi. À ces deux niveaux déjà, on constate l’impact du contexte sanitaire : seuls quelques terrains ont été retenus et, fortuitement, ce sont ceux-là qui sont clôturés réglementairement et qui disposent de pelouses plus ou moins acceptables. « Pour demain, il est souhaité que ce dispositif demeure et que le Togo arrête de disputer des matches de championnat sur des terrains de fortune qui n’offrent aucune marge de sécurité aux joueurs physiquement et techniquement. Il en va de la qualité de ce football », a commenté un ancien joueur international devenu entraîneur de foot.
Cette restriction au niveau des terrains est par ailleurs fortuitement bénéfique. Selon les proclamations de la fédération, « aucun club ne reçoit sur ses propres installations ». Cela suppose que le malheureux axiome de « la victoire obligatoire à domicile » avec toutes les manipulations répugnantes qui l’accompagnent ne seront plus à l’ordre du jour. C’est un a priori car l’on n’ignore pas l’audace et la capacité de nuisance des abonnés manipulateurs, ils sont capables de transposer leur vil attelage en terre autre. Tout au moins doit-on se féliciter de cette éventualité et envisager, dans le pire des cas, une réduction sensible des manipulations de matches.
En outre, on annonce une augmentation de la subvention, vue en réalité proportionnellement à la durée de la saison. En deux poules de 8, 12 clubs disputeront seulement 14 journées pour toute la saison. Avec 8 millions pour chaque club venant de la FTF, des distances réduites du fait du choix des terrains, l’annulation de la ligne « Hébergement », une saison de 3 mois donc trois salaires à payer, on considère que les clubs ne dépenseront pas autant d’argent qu’autrefois avec 26 journées. Selon certaines indiscrétions, l’Etat pourrait assister les clubs à hauteur de 7 millions chacun pour la D1. C’est à vérifier sur pièces. Dernier élément non moins important à évoquer : chaque club aura la possibilité d’enregistrer 40 joueurs contre le plafond de 30 requis les saisons précédentes.
Mise en place sanitaire
C’est ici que s’énoncent les grandes équations de la saison. Les gros risques y sont également attachés. Pour obtenir le quitus de l’autorité politique, la fédération a soumis un document de plan d’actions contenant les aspects sécuritaires et sanitaires de l’organisation des différentes étapes des prochains championnats nationaux.
Au plan sanitaire, le document décrit différentes dispositions allant des tests PCR au certificat de non contre-indications à la pratique du football en passant par l’obligation faite à chaque club de disposer d’un staff médical en bonne et due forme, la participation obligatoire de ces staffs médicaux à la session de formation sur la mort subite, la nutrition du sportif, le cahier médical du sportif sans oublier l’obligation des test ECG (encéphalo-cardiogramme) et THb (taux d’émoglobine).
Tous les joueurs subiront 7 tests PCR, ils ont lieu les lundis, soit 3 jours avant les journées de championnat programmées en milieu de semaine. Du côté des arbitres, ce test PCR devient une obligation chaque fois qu’un arbitre sera désigné sur un match. À ce niveau, le goulot d’étranglement qui effraie tout le monde, c’est le coût généré par ces tests. Si chaque club peut enregistrer 40 joueurs et que le test coût 25 mille francs, chaque club devra débourser 1 million FCFA pour pouvoir payer les 7 tests demandés, sans compter les membres dirigeants et le staff technique. Cette charge est tout simplement lourde pour tous les clubs, quels qu’ils soient. Mais les 16 clubs engagés peuvent en être exonérés. Selon nos sources, la fédération a déposé sur la table du ministère de tutelle deux doléances : la première sollicite la gratuité pure et simple desdits tests pour les sportifs, la seconde envisage un prix forfaitaire attendu pour être moins lourd pour les clubs.
Marcher sur les œufs
Aucune œuvre humaine n’est parfaite, c’est une lapalissade. Ainsi, dans le dispositif mis en place pour la nouvelle saison, des acteurs font-ils observer qu’il n’est pas tout à fait vrai que le format du championnat de première division réduise strictement les dépenses des clubs, au plan des frais d’hébergement par exemple. « Cela reste à prouver. Tous les clubs n’ont ni la même approche des matches ni les mêmes moyens, en dehors de ce que l’Etat donne. Il va sans dire donc que certains clubs feront le choix de se déplacer la veille des matches et ainsi être obligés de mettre leurs joueurs à l’hôtel. Donc des frais considérables. À moins que la fédération interdise cette possibilité. Mais alors je me pose une question : une telle interdiction est-elle sensée ? », fait observer un secrétaire de club.
Le véritable enjeu de cette saison, c’est la gestion du dispositif anti Covid. Une question : la fédération aura-t-elle l’heur de maîtriser à tout point de vue ledit dispositif à tous les niveaux ? Ce qui est sûr, elle s’est mise la corde au corps en soumettant le plan d’actions en vue de la reprise des activités. Dans sa réponse, le ministère des Sports a été formel et ferme. Il a lancé un appel et un défi: « comptant sur votre rigueur dans le respect des engagements et dans l’observation obligatoires des mesures barrières en vigueur dans notre pays » mais surtout a agité la menace implacable : « Toutefois, le non-respect des dispositions contenues dans le protocole de reprise des activités physiques et sportives l’obligerait à prononcer la suspension de ces championnats nationaux pour éviter la propagation de la covid-19 dans notre pays ».
C’est clair et sans équivoque. En même temps qu’elle savoure le retour à la compétition, la fédération est obligée d’ouvrir l’œil, de montrer de la vigilance et de la rigueur. Elle va marcher presque sur les œufs au cours de la saison. Ce qui est évident, c’est qu’elle est desservie par le fait que la compétition engage plusieurs acteurs, plusieurs lieux et plusieurs états d’esprit. Dans ce contexte, elle ne peut pas avoir la pleine maîtrise de toutes les situations. Peut-elle savoir par exemple comment vit un joueur en dehors des moments d’entraînement et de match ? Peut-elle avoir la garantie de la rigueur et de la pertinence de tout le personnel qui sera déployé comme agent Covid sur les terrains d’entraînement et de match ? De quels moyens dispose-t-elle pour savoir si, à certains endroits, on ne fait pas du laxisme, expression inconsciente du doute sur le péril attaché à la Covid ?
Toutes ces questions inclinent à dire que la fédération peut ne pas avoir la tâche facile pour tenir l’engagement qu’elle a pris devant l’autorité politique. On sait que, dans ce football, il y a de petits « tout-puissants » un peu partout. Que pourraient les agents et points focaux anti-Covid si ces derniers choisissaient malheureusement de piétiner tout ce qui est mesures barrières au nom d’une passion pour le football ? « La fédération peut bien se retrouver dans la situation embarrassante de devoir payer pour ce qu’elle n’a pas fait ni ne peut faire. Son sort, celui du championnat d’ailleurs, dépendra ainsi de la bonne volonté et du sérieux que chaque acteur affichera, à différents niveaux, au cours du championnat. Tout va se jouer à ce niveau : si les niveaux décentralisés jouent franc jeu, si chaque club, dans l’intimité de ses séances d’entraînement, si chaque joueur et chaque dirigeant ou membre du staff technique, chacun en ce qui le concerne, reste discipliné en dehors du terrain, il n’y a pas de raison que tout ne se passe pas bien. Je suis sûr que c’est une vraie gageure car rien n’est plus terrible que de sentir que son sort dépend d’autres personnes », explique une source.
La fédération est donc avertie. Il lui faudra montrer de l’à-propos dans le choix du personnel qui sera affecté à différentes tâches liées au protocole sanitaire. Il lui faudra peut-être prêter attention à la moralité de certaines personnes qui lui seront proposées. En outre, il lui faudra faire beaucoup de pédagogie, de sensibilisation et de veille. Une fédération avertie en vaut deux…