Année après année, saison après saison, le championnat national de football de première division peine à combler les attentes et à soulever les foules. À l’analyse, il se révèle que les maux et les lacunes de ce championnat se précisent au fil des matches et des saisons, au lieu de prendre le chemin du bien, en espérant celui du mieux. On fait ainsi observer, entre autres faits saisissants, la présence cette année du club soudanais AL Hilal, en phase de poule de la ligue africaine des champions au moment où l’AS Togo Port qui l’en a privé en 2017 s’embrouille dans les profondeurs du classement du championnat d’élite. Depuis deux ans, le club togolais ne joue plus les premiers rôles alors que celui du Soudan est resté, au moins, au même niveau. Comparaison n’est sans doute pas raison mais on fait vite d’évoquer les performances des clubs togolais, les aptitudes des joueurs et la disponibilité des ressources humaines favorables à un environnement de succès. C’est peu de dire que, sur ces plans, il ne reste à ce football que les lauriers du passé. Jusqu’à quand va-t-on se consoler de ce passé qui peine à se conjuguer au présent ? C’est tout un programme que cela suppose.
« C’est moche » a déclaré sans ambages Théophile Bola, le technicien franco-congolais qui a été récemment nommé à la tête du club Gbohloe-su des Lacs. Pour lui, le niveau du club qu’il s’apprête à cornaquer, est tout simplement pas ce qu’il devrait être. Il trouve ainsi que ce groupe ne fait pas l’affaire puisque les joueurs qui sont à sa disposition ne peuvent pas l’affaire. « Le club n’a pas de ligne d’attaque, il ne joue que sur sa défense et un bon gardien. Ceux qui sont devant ne demandent pas de ballon dans la profondeur », a-t-il précisé. La remarque est vite élargie à tout le football togolais. Même s’il avoue n’avoir vu que deux matches, il ne doute pas de la conclusion à tirer. « J’ai vu deux matches ici. Par rapport au Congo et à la Guinée, le niveau n’est pas là. On n’a pas le niveau. Aux entraînements et dans les matches. Le niveau est trop bas », a-t-il souligné.
Problèmes essentiels
Les remarques du technicien franco-congolais peuvent ne pas plaire, ils peuvent choquer la sensibilité des Togolais mais les gens de bonne volonté en diront tout simplement que ce n’est là rien de nouveau. On prend tout simplement l’exemple de Togo Port et de Al Hilal pour établir que, sous nos latitudes, il n’y a presque pas de club qui travaille et s’organiser sur le moyen ni le long terme. On gère le présent. « On est dans un championnat amateur », c’est l’excuse tout trouvée. La vérité, par contre, est que les gens à la tête des clubs ainsi que les sociétés d’Etat qui gèrent certains de ces clubs ne veulent pas faire des efforts pour sortir de la routine. On continue de considérer que l’essentiel est de participer et l’on vient dans les clubs juste pour profiter des privilèges qui y sont attachés. Des indiscrétions indiquent par exemple que la campagne de Togo Port dans la ligue africaine des champions 2017 a été embarrassée par m’opportunisme et la cupidité de certains membres du staff administratif. L’enjeu était beaucoup plus les intérêts personnels que les performances du club.
Sur le terrain, hormis la question des surfaces de jeu à laquelle la fédération togolaise de football (FTF) se montre incapable d’appliquer la bonne thérapie, le niveau des matches n’emballe personne. Très rarement, on assiste à des matches aboutis. Les joueurs proposent des plats parfois indigestes du fait de leur niveau technique et de leur capacité à intégrer les schémas tactiques. De buteurs, point. Depuis des années, le meilleur de tous reste scotché à 12 buts en 26 journées. Pas attrayant. En Côte d’Ivoire, on enregistre au moins 20 buts pour le même nombre de journées. Ce n’est pas que les défenses sont trop fortes mais c’est le niveau de ceux qui jouent dans l’attaque qui n’est pas à la hauteur des espérances. Ainsi, sur les 5 journées de ce championnat en cours, on a établi un ratio de moins de 2 buts par match, ce qui n’est pas de nature à attirer les gens vers ce qui se joue ici comme championnat. « Les joueurs sont pour la plupart des paresseux. Ils sont pressés de porter des titres qu’ils ne méritent pas, ils se laissent trahir par les lauriers que leur jettent des gens qui n’ont pas les moyens de juger avec pertinence et justesse leur niveau et leur qualité », renseigne un technicien de foot.
« C’est très difficile pour les agents de joueurs de présenter un joueur togolais et de réussir à convaincre ceux qui ont les moyens de lui proposer un contrat professionnel. Tous nos efforts restent vains parce que le niveau des joueurs n’est pas encore celui qu’on cherche » ; ajoute un agent de joueur. Il attire l’attention sur le contraste saisissant entre la présence des sélections nationales dans plusieurs compétitions sous-régionales, régionales et internationales et le manque d’intérêt des recruteurs pour eux. « Depuis 2016 au moins où le pays a disputé presque toutes les compétitions chez les A et les catégories de jeunes, aucun joueur togolais n’a été retenu et courtisé par des clubs en Europe ou en Afrique. Même les rares qui obtiennent des opportunités d’essais en reviennent avec l’échec. C’est tout simplement décevant. Peut-être même inquiétant », a-t-il expliqué.
Formation et suivi
En première analyse, il y a un véritable problème de formation et de suivi des joueurs au plan national. Ce problème est tel que dans la sélection A, le staff fait le choix de joueurs expatriés sans compétition ou évoluant dans des divisions inférieurs au détriment de ceux qui jouent tous les week-ends dans le pays. La récente polémique autour de l’avis exprimé par Mathieu Dossevi sur le sujet en est le témoignage vivant et vibrant.
Un autre témoignage : au début de la saison qui est à sa septième journée, le club Semassi de Sokodé a recruté des joueurs plus ou moins sans grande expérience. Ceux-ci ont disputé trois voire quatre journées et le staff technique s’est rendu qu’ils n’ont pas l’étoffe pour faire l’affaire. Du coup, il a fait appel aux vieux briscards dont Arouna Tadjoudine et autres qui sont devenus les piliers de l’équipe actuellement. « On avait tout ce monde e stand-by » explique-t-on dans l’entourage du club. Cela signifie que les jeunes gens qui sortent des centres dits de foot ou des clubs de quartiers ne sont que des marchands d’illusions qui n’ont pas le niveau qu’ils prétendent avoir.
Cela signifie aussi et surtout qu’il y a un vrai problème de formation des joueurs au Togo depuis quelques années. « On parle des aires de jeu. Pourtant, les étoiles d’hier ont aussi joué sur les même aires », a fait remarquer un observateur. À juste titre. En dépit des mille et une structures de formation qui existent ça et là dans le pays, (il en existe même deux associations), le pays peine à trouver des joueurs de bon niveau capables de rivaliser avec leurs homologues d’ailleurs. Du coup, il va sans dire qu’il y a des raisons d’émettre des doutes sur la qualité du travail qui se fait en ces centres, écoles et académies. Qui sont les encadreurs ? Dans quelles conditions le travail de pré-formation se fait-il ? Qui s’occupent de la formation ? On peut même s’interroger sur le recrutement des pensionnaires de ce centre. Semassi a dû par exemple recourir aux tauliers ; or, la ville de Sokodé est en elle-même un grand terrain de foot. On y joue partout, l’actuel site du grand marché était occupé les mercredis après-midi et samedis toute la journée par une kyrielle d’ « écoles de foot » qui y défilent les unes après les autres. Et pourtant !
Des solutions intermédiaires
Depuis des lustres, le football togolais peine à trouver des successeurs aux frères Salou, à Ouadja Lantame, à Olufade Adekanmi, à Agougnon Koami, à Agassa Kossi qui étaient des produits du cru national mais qui avaient conquis l’Afrique et le monde grâce à leur talent. Jusque-là, on se console de leurs exploits, ce sera sans doute encore le cas pour longtemps.
En attendant, le foot togolais doit trouver des solutions intermédiaires. L’une de ces solutions est de chercher des joueurs d’ailleurs pour forcer les nationaux à se hisser au niveau régional ou international. « Je considère par exemple que si l’ASCK avait eu le réflexe de recruter un bon milieu de terrain un buteur d’ailleurs, sa campagne africaine qui reste louable ne se serait pas ainsi terminée. À Enugu et à Kinshasa, cette équipe avait manqué d’un tout petit truc pour s’imposer. Le championnat togolais dans le contexte actuel doit donc faire l’effort d’aller chercher de bons joueurs d’ailleurs pour aider les locaux à se secouer et à sortir de leur illusion », indique une source. Elle cite l’exemple du foot européen qui, malgré la qualité de ses joueurs, n’hésite pas à se renforcer avec des talents d’ailleurs. « Ce métissage favorise l’amélioration du niveau du foot, même au plan local » précise-t-il. Peut-être faut-il donc que la FTF réfléchisse autrement en créant dans les règlements des compétitions les conditions susceptibles de favoriser l’enrôlement des joueurs étrangers. « On a fait l’expérience de la préférence nationale et de la protection des talents locaux. C’est peu de dire que cette expérience a montré ses limites. Il ne sert à rien de faire du protectionnisme pour le plaisir de le faire », conclut la source.
Plus loin, la FTF a l’obligation d’assainir le secteur de la pré-formation et de la formation des joueurs. « Quel résultat veut-on avoir si les jeunes jouent sur du sable ou sur du latérite dans les centres ou académies », s’est interrogé un confrère sur la question de la pré-formation. Cet avis peut paraître irréaliste mais il vaut son pesant d’or. C’est là des détails qui comptent et qui déterminent certainement la qualité du travail de pré-formation et de formation. Claude Le Roy a visiblement été désabusé par les performances de Nya-vedji, Yenoussi et autres Logossou, il n’a plus lancé dans le grand bain des mimots de ce genre sortis des centres de formation. Le chantier est grand. On n’en dira pas plus, pour l’instant.
Kodjo A.