Pourquoi le Togo accepte-t-il de participer aux jeux olympiques ? Quels sont les objectifs spécifiques visés et assignés aux athlètes ? Dans quelles mesures les fédérations sportives nationales et l’Autorité politique ont-elles travaillé dans cette perspective selon une planification lisible et pertinente ? On peut multiplier les questions mais toutes tant qu’elles sont elles révèleront uniquement et simplement que le Togo ne se donne pas les moyens de faire autre chose à ce grand rendez-vous des sports que de participer. Paris 2024 a encore souligné le problème et il est très urgent que la démarche change, les mentalités aussi.
L’histoire se répète et on dit souvent qu’elle est têtue. C’est en spectateurs médusés que les athlètes togolais aux jeux de Paris regardent les effusions et les cris de leurs collègues qui gagnent des médailles, la liesse parfois hystérique des supporters, parents, amis et concitoyens. Sans doute que l’arsenal mis en branle par la France sur le lieu dit « Club de France » les a laissés interdits, admiratifs mais impuissants. La raison est simple : leur pays a fait le choix de faire les mêmes choses, comme d’habitude, et de montrer l’impertinence de s’attendre à des résultats différents.
Menu fretin
Que servons-nous à l’opinion nationale comme résultats du contingent togolais aux jeux de Paris ? « C’est même un euphémisme que de dire qu’il s’agit du menu fretin. En réalité, on fait semblant de croire que tout va bien et on veut embarquer l’opinion dans ce monde d’illusions, dans ce marché de dupes qui n’éblouit plus personne », souffle une source. Le menu fretin, c’est de se gargariser de la formule « tel a amélioré son record personnel », « tel a amélioré le record du Togo ». Et c’est tout, encore que c’est dans le meilleur des cas. « Ce qu’il faut dire, c’est qu’on ne doit pas doit pas cracher sur ces résultats, par pudeur et par honnêteté, mais aussitôt qu’on a ouvert cette fenêtre, on doit souligner l’évidence qu’on ne doit pas tous les quatre ans courir aux jeux et revenir avec le même discours. Le Togolais aussi veut célébrer des médailles, il veut vivre les émotions générées par l’angoisse ou le rêve de voir son représentant tenir la concurrence dans une course, dans un tournoi et il veut aussi crier de toutes ses forces quand le Graal est atteint. On ne fait pas ce qu’il faut pour le leur offrir. C’est décevant », a ajouté la source, un spécialiste du management des sports.
Aux jeux de Paris, voici le menu fretin : Akakpo NAOMI au 100m plat a amélioré son record personnel en terminant la course en 12 ;34 contre 12.39 d’habitude ; Jordan Daou, jeune nageur, a également fait mieux que d’ordinaire au 50m nage libre avec un chrono de 26.54 contre 27.42 naguère. Voilà tout et il faut bien que l’opinion nationale s’en contente. Principale source de fantasme avant les jeux, Akoko Komlanvi en aviron 2000m skiff a tout simplement perdu le nord. Son chrono dans le bassin parisien est inférieur à ce qu’elle a réalisé avant. A-t-on besoin de rappeler l’imbroglio Eloi Adjavon ? « Il vaut mieux se concentrer sur des sujets plus utiles. Il ne sert à rien de s’enliser dans la querelle des mots qui ne peut qu’engendrer des maux. C’est un échec cuisant, un bel euphémisme encore », commente un confrère français spécialiste de la discipline.
Planification
Les leçons de Paris ? « Elles sont les mêmes que d’ordinaire. Selon toute vraisemblance, Benjamin Boukpeti a été une parenthèse heureuse. Elle a donné de la joie et du bonheur c’est vrai mais la question qu’on ne peut pas éviter est la suivante : est-ce que le Togo a préparé, planifié et financé la médaille de Boukpeti ? Tout le monde peut donner à cette question la question qu’il faut », indique le spécialiste en management des sports. En vérité, après 2008, tout se passe comme si les autorités politiques et sportives du Togo ont attrapé l’amnésie ou l’autisme et ignorent divinement que Benjamin Boukpeti était d’abord et avant tout le produit d’un autre système. Pour faire simple, on se comporte aujourd’hui comme si la médaille de 2008 avait été construite par les efforts endogènes. « Cela fait que nous courons aux jeux sans faire en amont ce qu’il faut. Avant Paris, quel programme de fabrication de talents le Togo a-t-il mis en place ? », ajoute-t-il.
Comme l’excellence, les médailles ont un prix et c’est un choix qu’il faut faire. Comparaison n’est pas raison certes, mais il est désormais connu de tous que ce n’est pas par hasard que la France aligne les médailles de tout genre aux jeux de Paris. Les athlètes s’y sont préparés de longue date, deux ou trois ans au moins mais cela n’a pas empêché beaucoup de tomber au premier tour ou d’échouer au pied du podium. Léon Marchand, le monstre de la natation, a été installé aux Etats-Unis et il a pris l’entraîneur qui a construit dans l’ombre les performances XXXL d’un certain Michael Phelps.
« Il faut que le Togo décide une fois d’envisager autrement les jeux olympiques. On ne peut pas concurrencer les nations occidentales dans certaines disciplines mais il y en a d’autres où on peut avoir notre mot à dire. Il revient aux techniciens du ministère des sports, en corrélation avec leurs congénères des différentes fédérations sportives, d’identifier les disciplines dans lesquelles le Togo peut fabriquer des talents parce que le potentiel existe. Puis un programme d’encadrement et d’entraînement sur une ou deux olympiades sera nécessaire. C’est à ce prix qu’on arrêtera la navigation à vue et l’illusion de récolter du maïs quand on n’en a pas semé préalablement », a conclu la source. « C’est un passage obligé, un préalable incontournable. Sans cela, c’est bien bizarre d’amener aux jeux un athlète qui affiche un chrono de 12.34 au 100m dames et de croiser les doigts pour qu’elle gagne des médailles alors que les meilleures en Afrique sont au moins à 11 secondes (10.93 meilleur chrono pour Gina Bass, 10.72 pour Talou, ndlr) ? », fait remarquer un autre confrère.
Investissement
Si l’on demandait au Togo de dévoiler ce qu’il a investi dans la perspective des jeux de Paris, quel montant va-t-il donner ? Selon le montant, on va chercher à savoir les dépenses qui ont été engagées avec ces fonds et les objectifs qui étaient poursuivis ? On sait que le ministère des sports a acheté du matériel chez un vendeur au Togo, qu’il a fait payer 1 million de francs CFA à chaque athlète retenu et que possiblement il s’occuperait aussi des titres de voyage de certains membres de la délégation. « On posera ensuite la question essentielle : ces dépenses suffisent-elles pour faire gagner des médailles ? », esquisse la même source.
Dans les faits, combien le Togo a-t-il mis à la disposition d’Akoko Komlanvi afin qu’elle se prépare dans les meilleures conditions pour les jeux ? Combien a-t-on mis dans la cagnotte pour que Naomi Akakpo travaille à améliorer ses chronos au 100m plat ainsi qu’au 100m haies ? Après 65 ans d’indépendance, le Togo n’a toujours pas de salle de sports ni de piscine olympique. Dans les régions, les infrastructures sportives sont au registre de la portion congrue ; les fédérations sportives, au nom du sport amateur, reçoivent des miettes comme subventions qui suffisent à peine pour organiser des compétitions et qui ne peuvent donc pas servir à planifier des tâches essentielles comme la détection des talents et leur encadrement méthodique et efficace. « On est tenté de croire, à raison, que l’autorité politique n’est pas intéressée par les résultats sportifs, que ce soit aux JO ou ailleurs. Seuls les acteurs concernés trépident et trémoussent inutilement et gratuitement. À leurs dépens », conclut le spécialiste en management des sports.
Il est bien loin la boutade de Coubertin. Aujourd’hui, les jeux olympiques sont devenus un haut lieu de concurrence et de compétition. Des athlètes ont beau gagné des titres de champions du monde, le titre olympique demeure un aboutissement pour eux. Le Togo doit donc faire le bon choix de faire dorénavant autrement les choses pour sortir de l’ornière. Il faut y mettre le prix qu’il faut.