Le nouveau sélectionneur des Eperviers du Togo, le Portugais Paulo Duarte, prendra fonction très prochainement. Déjà installé dans la capitale togolaise, il va sans doute poser sa signature en bas d’un document de contrat qui va sceller son accord de collaboration avec l’Etat togolais à la tête de la sélection nationale fanion. Avant même qu’il ait signé ce contrat, le Portugais est l’objet de toutes sortes de fantasmes. Les supporters des Eperviers rêvent déjà en grand, on ne sait pas s’ils sont devenus des supporters du PSG. Ils rêvent de Mondial 2022 au Qatar, ils ne doutent pas que leur sélection va redevenir conquérante et invulnérable, comme au cours de l’histoire saison 2004-2005. Pour tout dire, ils ne font pas dans la dentelle en fixant les objectifs à atteindre, à court terme. C’est peu de dire que tout cela est totalement irréaliste. Ceux-là veulent tuer un sanglier avec une fronde pour enfants.
La nouvelle saison des équipes nationales fanion reprend dès le mois prochain. Sur le continent africain, ce sera l’occasion des deux premières journées des éliminatoires de la Coupe du Monde Qatar 2022. Pour cette nouvelle campagne de mondial, les Eperviers sont tombés dans un groupe composé du Sénégal, du Congo et de la Namibie. Dès le premier trimestre 2022, au lendemain de la prochaine phase finale de la Coupe d’Afrique des Nations Total Energies Cameroun 2021, il sera dévoilé les poules de qualification pour l’édition suivante de cette compétition. De quoi les Eperviers sont-ils vraiment capables ces temps-ci ? Ont-ils les moyens d’envisager une qualification à l’une ou à l’autre compétition ?
Marge de manœuvre
En marge des déclarations de la ministre des Sports, suivie par le président de la fédération de football, il est utile de se demander si le Togo a vraiment les moyens d’arracher une place pour Qatar 2022. Non seulement le format des éliminatoires est assez rude et très peu favorable au miracle mais encore et surtout les ressources humaines disponibles sont loin de faire l’affaire d’une telle qualification.
Pour espérer se qualifier pour Qatar 2022, il faut dans un premier temps finir premier du groupe composé du Congo, de la Namibie et du Sénégal. Au petit bonheur la chance, le Togo peut rivaliser avec le Congo et avec la Namibie. Mais les Eperviers ont-ils les ressources nécessaires pour dominer les Lions et ainsi viser la première place du groupe ? Dans le cas échéant, ce ne sera même pas la fin. Il faudra dans un second temps remporter les matches couperet face à un grand du continent, l’Algérie, l’Egypte, la Tunisie ou le Maroc par exemple. Nouvelle question : le groupe actuel des Eperviers est-il capable de vaincre l’une de ces équipes ? Le supporter passionné et aveuglé par le chauvinisme peut répondre sans hésiter que son équipe en a les moyens. Cela va de soi car c’est l’attitude ordinaire d’un supporter : quel que soit l’adversaire en face, son attente est que son équipe gagne, sa foi en cela est inébranlable, même si elle ressemble ni plus ni moins à la foi d’un crapaud dans la gueule d’un serpent.
Ce qui est nouveau, c’est que la ministre des Sports et le président de la fédération se sont engagés dans la même dynamique. « Il faut se demander si ces hautes autorités ont vraiment pris la mesure de la situation avant de lancer de telles bombes. Il faut dire qu’entre dire et faire, la ligne de démarcation peut être ténue mais relever du miraculeux voire de l’impossible », a commenté un observateur interrogé sur le sujet. Selon ce technicien de football, il n’y a pas de raison « rationnelle » qui puisse autoriser de tels élans ou de telles positions. « Aujourd’hui, la sélection nationale n’a toujours pas d’âme. L’effectif n’est pas compétitif et il faut bien avoir le courage de dire que ce n’est pas seulement un problème d’entraîneur ou de sélectionneur. Je conviens que le changement de sélectionneur produit parfois l’onde de choc qui secoue les cocotiers et métamorphose des équipes mais il faut que les conditions minimales soient réunies pour cela. Je ne crois pas que, dans le cas des Eperviers, ces conditions existent. Du coup, il ne faut pas croire que tout sera beau aussitôt que Claude Le Roy est parti », a-t-il expliqué.
Depuis le départ du technicien français, il n’y a pas eu de miracle dans l’effectif de la sélection. Le groupe qui existait n’a pas changé au point de faire de la sélection une équipe redoutable sur le continent. La fenêtre FIFA de juin a révélé que Jonas Komla, suivi de loin, ou de près, par Paulo Duarte a tenté de faire du nouveau mais le coup n’a pas fonctionné. Les nouvelles têtes ne permettent pas de rêver et il est clair que ce n’est pas Gustave Akueson, Serge Nyuiadzi, Tchadenou Farid voire Wome Dove et Placca Fessou qui vont provoquer la révolution rêvée. Cela signifie qu’il faut avoir le courage d’accepter que les Eperviers, en l’état actuel des choses, n’ont pas de marge de manœuvre. Leur capacité réelle est tout à fait en-deçà de ce qu’on attend d’eux. Le bilan des matches de la fenêtre de juin le dit assez bien. Si la victoire sur la Guinée a vite fait de réveiller des envies folles, la défaite devant la Gambie est l’image véritable de ce dont les Eperviers sont capables aujourd’hui. Leur demander de faire du miracle à court terme, c’est stricto sensu leur demander de tuer une vipère avec une brindille de balai. C’est une pression infertile et illogique.
Patience et réalisme
C’est donc bien à tort que l’on pense que tout est beau à présent que Claude Le Roy s’en est allé. En vérité, ce sentiment perceptible au sein de la fédération et dans d’autres chapelles tient sa source de la frustration née du verrouillage à tous les niveaux du système de rente et de profits indus naguère en place autour de la sélection. De ce fait, s’il est possible que ce système reprenne du service, il l’est moins pour les résultats de la sélection sur le terrain. Pour une raison simple : l’effectif ne le permet pas. Ce n’est ni de l’antipatriotisme ni de la mauvaise foi de le dire.
Il s’agit tout simplement du réalisme. On ne peut pas continuer à faire les choses dans la précipitation, on doit arrêter de prendre goût à gagner au petit bonheur la chance. Dieu n’est pas pour le Togo seul et la manne est tombée une seule fois dans l’histoire. Pour envisager une présence à une coupe du monde, pour voir le Togo à nouveau qualifié pour une phase finale de Coupe d’Afrique, il faut prendre le parti de la méthode, de l’organisation et de la patience. Pour être championne du monde en 1998, la France a dû tirer les justes leçons de son élimination cauchemardesque en 1994. Après cette fin de match traumatisante face à la Bulgarie, la France s’était résolue à réorganiser son football et l’obligation avait ainsi été faite à tous les clubs de créer des catégories de jeunes et de s’en occuper avec rigueur et méthode. Quatre ans plus tard, la France monte sur le toit du monde, sans doute en récoltant les fruits du travail effectué par les différents clubs de l’élite.
Qu’en est-il au Togo ? Depuis que la sélection nationale est revenue de la Coupe du Monde 2006, depuis qu’elle tente en vain d’y retourner, qu’est-ce que la fédération a mis en place comme programme dont le résultat final sera une nouvelle qualification ? Mieux, depuis 2006, combien de championnats U17 ou U19 a-t-on pu organiser ? Une autre question : à quel moment la fédération a-t-elle invité les clubs des deux divisions à se réorganiser afin de s’engager dans la formation ? Au niveau du gouvernement, a-t-on travaillé à créer un cadre légal pertinent aux académies et centre de football qui se créent à tour de bras çà et là dans le pays ? Celui qui veut aller loin doit apprendre à ménager sa monture. Au lieu de s’engager frénétiquement dans un rêve de Mondial ou de victoire à une CAN, il faut repenser le système du football et poser sereinement les fondations. La suite ne sera que logique. On récolte uniquement ce qu’on a semé, le contraire relève de l’affabulation.
Kodjo AVULETEY, L’Equipe Sportive N°342 du Mardi 10 Août 2021