Branle-bas. Pour l’heure, les bruits sourds restent dans l’intimité des couloirs du Comité National Olympique, Rue des Nîmes à Lomé, et du ministère chargé des Sports. Entre velléités d’un congrès extraordinaire vite perçu comme un coup fourré, un courrier d’orientation du CIO et les querelles de clans déjà en ordre de bataille pour le prochain scrutin, le Comité National Olympique du Togo vit une période cruciale de son histoire. D’un côté le camp du président sortant qui doit trouver une parade pour le corset de la limite d’âge ; de l’autre, celui du Secrétaire Général qui, sans être rebelle à son patron, trace patiemment et méthodiquement sa route vers le sommet : voilà les protagonistes de ce qu’il convient d’appeler la bataille de l’article 16. Sans oublier les invités surprise, MM. Wona et Walla, qui pourront forcer les uns et les autres à rebattre les cartes.
À l’ombre de la rue des Nîmes, en contrebas de l’ancien Palais des Gouverneurs attendu pour devenir un complexe culturel et artistique, se joue un feuilleton dont plusieurs épisodes ont été déjà écrits et tournés. Il s’agit d’une création collective dont le casting est tout simplement exquis : 23 présidents de fédération, une douzaine de membres du Comité Exécutif, deux grands acteurs en attraction : Azaad Kelani Bayor, président en exercice, Deladem Akpaki, Secrétaire Général. Retour de l’histoire : César face à Brutus, ça promet comme feuilleton.
Suspicion et méfiance
La marche vers le renouvellement du Comité Exécutif du Comité National Olympique du Togo se fait dans un contexte de suspicions et de méfiance. Les différents protagonistes jouent au jeu du chat et de la souris, de la chèvre et du chou qui doivent pourtant faire compagnie dans la même corbeille d’emplettes. Le destin des hommes a voulu entre-temps que le président Bayor tombe malade et que, dans la pratique, il soit obligé de demander au Secrétaire Général de faire assurer l’intérim par le Vice-président, selon le protocole.
Durant cet intérim, le Comité Exécutif avait pris connaissance du courrier du Comité International Olympique (CIO) qui invite les fédérations nationales à envisager une prolongation de leur mandat jusqu’aux Jeux de Tokyo 2021. Les délibérations du Bureau ont abouti à un vote qui a vu se dégager une majorité autour de la prolongation, devant un autre courant plutôt favorable à une nouvelle élection dès la fin de mandat en cette année 2020. Comme recommandé par le CIO, seules les assemblées générales doivent valider la prolongation éventuelle des mandats. En conséquence, le Comité Exécutif avait décidé de convoquer une assemblée générale extraordinaire pour en décider. Les membres du CNO-Togo ont été informés par courrier avec en annexe les statuts et règlement intérieur en vigueur.
Surprise : le président Bayor rebondit et informe le Comité Exécutif de son retour aux affaires. Dès sa reprise, il décide d’annuler toutes les décisions prises en son absence et souhaite que tout soit repris. Pourquoi une telle réaction ? Certaines sources indiquent que le président Bayor a certainement flairé un coup fourré dans cette convocation d’assemblée générale extraordinaire, en son absence. On apprend à d’autres sources que le président Bayor a adopté cette position parce qu’il doute de la régularité et de la légalité de la version des statuts annexés au courrier de convocation d’assemblée générale extraordinaire. « Il y a bien des raisons de s’interroger de ce choix opéré par le président qui a enclenché lui-même l’intérim, du fait de sa santé. Il y a sûrement une motivation et cela peut bien être dû au malaise de ce dernier eu égard au contenu de certaines dispositions desdits statuts et règlement intérieur », a fait remarquer une source introduite dans le fonctionnement du CNO-Togo. « On peut soutenir, sans risque de se tromper, que le président Bayor et ses alliés, redoutent l’éventualité d’un vote de défiance contre eux au cours de cette assemblée générale », précise la source. À ranger dans le registre des supputations.
Nouvelle surprise : opposition contre opposition. Le 10 juin 2020, un courrier avec comme objet : « Demande de convocation d’une Assemblée Générale Extraordinaire du CNO Togo pour le Samedi 27 juin 2020 » arrive au cabinet du président Bayor. Il est signé par 17 fédérations. « Nous soussignés, Présidents de fédérations nationales sportives affiliées au CNO-Togo, conformément à l’article 10 des statuts du CNO-Togo venons par la présente, demander la convocation d’une Assemblée Générale Extraordinaire pour le samedi 27 juin 2020 afin de délibérer sur la prorogation du mandat du Comité Exécutif du CNO-Togo », lit-on dans ledit courrier qui fait référence au courrier du CIO en date du 23 avril 2020.
Questions naturelles : d’où sort cette pétition ? Qui l’a suscitée ? Pourquoi sort-elle aussitôt après que, de retour aux affaires, le président Bayor a choisi de faire table rase de tout ce qui a été fait en son absence, notamment la convocation de l’AG extraordinaire ? On n’aura peut-être pas maintenant les réponses justes à ces questions. On doit convenir tout au moins que le timing de cette pétition la rend bien tendancieuse. « Cette pétition, à mon sens, donne peu ou prou raison au président Bayor qui avait déjà vu dans la convocation de cette assemblée extraordinaire un coup fourré. Autrement, pourquoi subitement une pétition sort de nulle part dans un tel timing ? J’en conclus qu’il y a des gens qui tirent des ficelles quelque part ; on peut dire aussi assez facilement que, vu le nombre et le pedigree des signataires, le président Bayor ne semble pas maître de la situation, le bateau lui échappe visiblement », commente une source.
Article 16
L’autre levier de la guerre silencieuse en cours au CNO-Togo est bien entendu le contrôle des opérations électorales. Dans chacun des camps, on essaie de tirer le gouvernail vers soi. C’est à cet effet que le président Bayor aurait soufflé sans retenue sur ce qui a été fait en son absence. « J’ai le sentiment que le président Bayor, dans ses plans, a estimé que certains contenus des statuts annexés à la première convocation ne lui sont pas favorables. Il a donc adopté cette attitude pour gagner du temps et en profiter pour tirer le drap de son côté », indique notre source. Bien vu.
Il nous est revenu en effet que, au cours d’une réunion du Bureau Exécutif, le président Bayor a clairement exprimé son désaveu et son désaccord vis-à-vis des statuts en question. Il est rapporté que l’ancien président de la Confédération Africaine de Boxe ditb ne pas reconnaître ces statuts, criant à la manipulation et au traficotage. Il accuse insidieusement ses collaborateurs, peut-être le Secrétaire Général, d’avoir taillé ces statuts sur mesure.
Il s’agit d’une bataille autour de l’article 16. En circulation, il y a deux différents textes avec des contenus différents à l’article 16. Pendant que dans les statuts annexés à la première convocation, l’article stipule que les candidatures aux différents postes électifs doivent être envoyées au Secrétaire Général par exemple, le document brandi par le président Bayor indique que c’est au Président du CNO-Togo que ces candidatures doivent être adressées. Comment peut-il y avoir une si grande disparité dans un tel article dans des textes d’une seule et même institution ? Pluie d’accusations et de contre-accusations.
Nos sources soulignent que, suite à cette situation qui a d’ailleurs généré des discussions houleuses à une réunion du Bureau Exécutif, l’ordre a été donné de fouiller les archives du Comité pour en ressortir tous les statuts et règlement intérieur inhérents à la gestion du CNO-Togo. Cinq documents ont été exhumés dont ceux de l’assemblée du 23 juin 2014 et du 23 décembre 2016. Les investigations permettent d’établir que les textes du 23 juin 2014 sont les mêmes qui ont été amendés en décembre 2016 avec, entre autres modifications, celles liées à la réception des candidatures. Autrement dit, les textes du 23 juin 2014 n’ont plus force de loi, suppléés juridiquement par ceux de décembre 2016, base par ailleurs de l’élection du bureau actuel.
Le camp Bayor accuse : les textes envoyés aux fédérations sont traficotés à dessein pour tenter de contrôler le processus. En face, la réplique est vive. On crie au scandale en faisant remarquer que les statuts brandis par le camp Bayor sont le fruit d’une manipulation éhontée et artisanale. On fait observer que les écritures sur la page de garde desdits textes ne sont pas faites avec les polices habituelles des documents du CNO-Togo. On ajoute à ces sources que la mention « Validés par le CIO » qui figure sur cette page de garde n’apparaît pas dans les textes du 23 juin 2014 retrouvés dans les archives. D’où sort alors cette mention sur le texte brandi par le président Bayor et présenté comme l’authentique. Bien malin celui qui pourra démêler un tel écheveau.
Mais entre temps, Etienne Degboe, l’ancien Secrétaire Général avait été appelé à la rescousse pour reconnaître et authentifier le vrai texte en tant que garant de l’administration en ce moment de modification des textes. Les textes authentifiés sont ceux qui font du Secrétaire Général l’organisateur des élections.
Limite d’âge
Selon toute vraisemblance, tout ce branle-bas est annonciateur de la lutte pour le contrôle du CNO-Togo au cours du prochain mandat, qu’il débute cette année 2020 ou qu’il le soit en 2021. En sus de la bataille de l’article 16, il y a également la disposition relative à la limite d’âge. Selon les textes, 2014 ou 2016, on ne peut pas se faire élire au Comité Exécutif si l’on a 70 ans d’âge révolu à la date du vote. Cela veut dire que, au moment du vote, tout candidat ayant cet âge sera déclaré inéligible. C’est le cas notamment du président sortant.
Pour certains observateurs, la fixation que le président sortant fait sur l’article 16 est bien surprenante. Selon eux, il aurait dû bosser sur cet article imposant la limitation d’âge afin de tenter de forcer le passage ou de conclure un deal avec qui de droit. Pourquoi le président Bayor n’évoque-t-il pas cette disposition ? « C’est difficile à comprendre. Le vrai enjeu devrait être de ce côté pour lui, si tant est qu’il est intéressé par un nouveau mandat. Dans ce sens, il aurait pu faire du lobbying pour anticiper l’élection du Comité Exécutif avant ses 70 ans. Visiblement, ce n’est pas sa préoccupation et il faut bien s’en interroger » commente un observateur. Un autre agite l’éventualité d’un plan kamikaze. « Est-ce que, en ouvrant le front des textes vrais ou faux, est-ce que le président Bayor ne cherche par exemple pas à attirer l’attention sur une situation de confusion au sujet des textes et de leur légalité dans l’objectif de provoquer une remise à plat, la confection de nouveaux textes et du coup son retour en force dans le jeu ? C’est peut-être une stratégie à la yakuza », explique-t-il.
Dénouement
Le feuilleton sera long, sans doute. De nombreux rebondissements sont à envisager, avant, pendant ou après l’AG extraordinaire du 3 juillet, si elle a lieu. En attendant de savoir celui des deux camps qui va réussi le hipon sur son adversaire, il va sans dire que les données du problème révèlent de nombreuses irrégularités dans le fonctionnement du CNO-Togo, dans ses textes juridiques notamment. À y voir de près, on s’aperçoit que le président sortant ignore le texte sur la base duquel il a été élu, peut-être même tout le Comité Exécutif. Le fait-il exprès et à dessein ? Deus ex machina : il nous est revenu que, samedi, le président Bayor et le Secrétaire Général se seraient rencontrés au domicile du premier. Résultat : des lignes auraient bougé. Lesquelles. On le saura très vite et très bientôt, pourvu que l’intérêt des sports soit le bénéficiaire d’un quelconque « accord de paix ». Qu’importe. Le moins qu’on puisse dire est que ces textes méritent une véritable remise au goût du jour sans parti pris ni complaisance. Nos sources indiquent d’ailleurs que le ministère des sports en a fait la remarque aux membres du Comité Exécutif du CNO-Togo. Il leur aurait été dit là-bas que les textes en leur possession sont trop lacunaires, il est incroyable et inadmissible par exemple que le CNO-Togo n’ait pas de commission d’éthique, un exemple parmi tant d’autres. Le faire avant une nouvelle élection, cela peut paraître tendancieux de sorte qu’il faut attirer l’attention du prochain nouveau Comité Exécutif sur l’urgence de la relecture et de la réécriture des statuts et règlement du CNO-Togo. Si la faîtière elle-même s’autorise de telles défaillances, que peut-elle reprocher aux fédérations affiliées souvent asphyxiées par les querelles autour des statuts ? La question n’est pas inutile.
Kodjo Avuletey