Journée après journées, les championnats nationaux de première et deuxième divisions en cours révèlent la tendance surréaliste à faire du football sans jamais perdre. Tout le monde veut gagner, tout est mis en œuvre à cet effet, au prix même d’un piétinement royal des règles élémentaires du fair-play. Sur différents terrains, il est signalé des faits, attitudes et états d’esprit qui ne favorisent pas un football décomplexé, strictement arrimé aux valeurs qui lui sont propres. Intimidations, violences, manipulations des officiels, superstition et obscurantisme, tout est mis en œuvre pour conditionner en sa faveur les matches et leurs dénouements. Les publics, les responsables des clubs et les arbitres sont les principaux acteurs de ce mauvais film dont la conséquence immédiate et lointaine est le maintien du football togolais dans l’ornière.
Pour le football togolais, les saisons de championnats s’inscrivent toujours dans le registre des mauvaises pratiques et des mentalités anti-progrès. Non seulement la question des infrastructures est restée un sérieux handicap au beau jeu mais aussi et surtout divers acteurs, à différents niveaux, refusent d’aller de l’avant. Attitude incompréhensible et surréaliste : personne ne veut perdre de match, aucun club de première division ne veut envisager de descente en division inférieure, comme si c’était du Hockey sur glace qui est pratiqué en deuxième division. Vouloir se maintenir dans une division est une ambition noble mais cela ne doit pas autoriser toutes sortes de pratiques viles et antisportives.
Arbitrage à problème
C’est presque devenu une ritournelle. Les entraîneurs des clubs en déplacement ont habitué la presse et l’opinion aux plaintes contre l’arbitrage. Dimanche dernier à Tchamba, le coach de Gbohloe-su a fait observer que l’arbitrage n’était pas pertinent et qu’il était obligé d’en parler, contrairement à son habitude. En deuxième division, à l’issue du match en retard entre AS Binah et Foukpa disputé la semaine dernière, le coach du club de Sotouboua n’avait pas mis de gants pour crier haro sur l’arbitrage. « On a joué contre l’arbitrage », avait-il pesté. De même, l’issue du match Unisport-Koroki de la 12ème journée du championnat de première division avait suscité de la réprobation et de la déception auprès des responsables et des supporters du club de Tchamba. Une plainte contre la prestation de l’arbitre du match, Bodjona Mawabwè, a d’ailleurs été déposée au secrétariat de la fédération, selon une source dans le staff dirigeant du club.
On peut écrire une encyclopédie avec les plaintes soulevées contre l’arbitrage dans les championnats nationaux. On se pose sensément la question de savoir si ces plaintes sont fondées ou s’il s’agit d’humeurs de mauvais perdants. Ce qui est évident, c’est que ces plaintes sont le signe d’un malaise et l’expression de situations troublantes ou incompréhensibles. On peut ainsi admettre que ces plaintes ne sont pas toutes fondées mais que, dans plusieurs cas, elles sont l’expression de l’impertinence de certains arbitres, qui sait, de la compromission d’autres.
En début de saison déjà, on avait attiré l’attention de l’opinion, dans les mêmes colonnes, sur les inclinaisons malheureuses des arbitres qui « fabriquent » ainsi les champions et les maintenus. De plus, tout le monde se souvient des différents scandales liés à l’arbitrage intervenus au cours de la saison 2018-2019. Des arbitres avaient été suspendus pour de longues années ; plus tard, un responsable de premier plan de l’arbitrage avait été également tancé dans le scandale du match Anges – Asko. C’est peu de dire que la logique n’a pas changé cette saison. En vérité, comment peut-on ne pas céder à l’élan d’accuser Bodjona Mawabwè et ses assistants du match Unisport-Koroki de manipulation préméditée en faveur d’Unisport ? En considérant les circonstances du deuxième but du club de Sokodé, la tentation de dire « qu’il y a eu quelque chose » est très forte. Si c’était le cas, si la même attitude malheureuse se reconduisait sur d’autres matches, il va sans dire que l’arbitrage tire constamment et régulièrement des balles meurtrières dans les jambes du football togolais.
Incompétence, complaisance, couardise et sans doute cupidité, voilà les causes d’une telle situation. Certains arbitres n’ont pas strictement les compétences et la personnalité nécessaires pour gérer certains matches, d’autres font le choix de la couardise alors même qu’il faut beaucoup de courage et de fermeté pour maîtriser certains matches, certains publics.
Ennemis du football
Pour certains observateurs, l’impertinence des arbitres est due à ce qu’ils subissent et vivent sur les terrains. « Il y a des terrains où les publics promettent ouvertement l’enfer aux arbitres. L’excitation des « supporteurs » est telle parfois que l’arbitre choisit de sauver sa peau en fermant les yeux sur certaines choses, en donnant un coup de pouce providentiel pour assurer la victoire espérée », explique un ancien arbitre. Cet avis n’est pas faux, il constitue une justification plausible de ce que font certains arbitres sur le terrain mais cela ne peut pas être une raison suffisante. Tout au moins ce contexte d’intimidation souligne le problème des attitudes répréhensibles de certains publics dans les championnats nationaux.
Si l’on n’y prend garde, si rien n’est fait pour arrêter la marche à pas cadencés des ennemis du football sur les terrains, le football togolais va connaître un enlisement plus cruel et plus mortel. Ceux-là se réclament fans du football mais ils n’envisagent pas ce football avec les défaites. Comment peut-on aimer le football sans accepter qu’on ne peut pas gagner tous les jours ? Ceux-là qui s’autorisent de telles attitudes méprisables sont pourtant les premiers consommateurs de la Liga, de la Premier League et de la Série A où tous les jours des clubs essuient des défaites à domicile sans que systématiquement des arbitres ou des supporters subissent des voies de fait. Pourquoi donc ne copient-ils pas ces bons exemples ? Pourquoi pensent-ils qu’ils doivent intimider les arbitres, leur jeter des projectiles, leur courir après comme s’il s’agissait d’une chasse aux souris ?
On ne peut pas gagner tous les jours. De même, on doit comprendre et accepter que la deuxième et la troisième divisions font aussi partie intégrante du football. Mettre les petits plats dans les grands, dans le mauvais sens, pour ne pas perdre des matches et ainsi refuser la logique du football, c’est tout sauf aimer ce football. Le scandale du 11-0 reste la meilleure expression de cet élan de négation du football. Vu les élans actuels, si l’on ne prend pas les taureaux par les cornes, tout porte à croire que la réédition d’un tel scandale n’est pas bien loin. L’homme prudent voit le mal de loin, n’est-ce pas ?
Kodjo AVULETEY